dimanche 18 mai 2014

Jour du Seigneur-Bure et Soie suite 5

Jour du Seigneur-Bure et Soie suite5



Il y a bien longtemps il m'était fait obligation d'assister à toutes les messes qui avaient lieu à 6H du matin les jours de semaine et à 6H, 10H, plus les vêpres à 16 H, le dimanche et les jours fériés. Mon éducation religieuse faisait partie de mon moi. Je croyais en Dieu  et je pratiquais sans même me poser de question.
Or, j'ai fais la connaissance d'un homme qui a été mon mari durant 42 ans. Mais voilà, il était divorcé et le nouveau concile était d'accord pour pardonner un meurtrier récidiviste mais pas un couple divorcé.
Et c'est ainsi que je me suis trouvée excommuniée. Depuis environ cinquante ans je n'ai plus pratiqué, plus communié. Je n'ai toujours pas la réponse à savoir auquel d'un divorcé ou d'un criminel le Seigneur pardonnerait.J'ai toujours beaucoup de mal à regarder les paroissiens aller communier sans aucune préparation et sans être à jeun.
J'ai connu Jean XXIII qui était venu en Corse couronner Notre Dame de La Vasina, je crois en 1953 et j'ai eu un culte particulier pour Jean-Paul II, jusqu'à ce que... Mais ça c'est une autre histoire.
En définitive, je suis trop droite et ne puis accepter tous les dogmes de l'Eglise Catholique.
J'ai fait baptiser mes trois enfants, leur ai fait faire leur communion et leur confirmation.
Si je vous parle de tout cela aujourd'hui, c'est que ce matin, et le jour de la canonisation des deux papes j'ai assisté à la messe devant le petit écran avec beaucoup de ferveur et d'émotion.
Masha le 18 mai 2014

De la Bure à la Soie - Suite n°(

« J’aime cette vieille qui me rappelle ma grand-mère, pense-t-il. Les mêmes traits durs et tendres à la fois. Cette peau mate. Ces grands yeux qui refusent de vieillir. Ce sourire à peine esquissé qui vient de l’intérieur. Ces cheveux tirés en chignon. Ce port altier. Cette façon de se vêtir, propre et pratique, au lavoir comme à l’église ; seuls changent le foulard noir noué sous le menton, le tablier que l’on quitte et les bottines réservées pour les grandes occasions, à la place des galoches aux semelles de bois clouté.
« Lorsqu’on la regarde on ne peut s’empêcher de songer aux soirées au coin du feu, aux histoires de loup-garou et de sorcière, aux gâteaux à la farine de châtaigne et aux noix, au miel du maquis, aux confitures de figues, aux soupes tellement épaisses que la louche tient debout dans la marmite. Et tout cela, accompagné de tendresse, d’amour, de patience. Cette façon de commander sans en avoir l’air. Cette volonté inflexible, cet orgueil à ne céder devant ni Dieu, ni diable.
« Et ces mains épaisses, carrées. Elles en ont battu du linge, pétri de la pâte, frotté, ciré, raccommodé. Faites pour les caresses, elles sont demeurées douces et fermes. On a envie de les embrasser, de les remercier d’avoir essuyé tant de larmes et soigné tant de bobos. Y a-t-il plus grande valeur sur cette terre, songe le jeune médecin en passant dans le couloir où filtrent des bruits venant des chambres, des pleurs, des plaintes. Pauvre femme. »
- Elle n’a pas eu de chance, murmure Claudia. J’aurais tellement aimé la choyer comme elle l’a fait pour nous.
Le docteur sursaute au son de cette voix qui vient clore ses pensées.
- Qu’a-t-elle voulu dire par : « rentrer chez elle » ? De qui parlait-elle ?
- De ma mère, sa soeur.
- Venez boire ce qui ressemble à un café et racontez-moi.
- Oh c’est une histoire banale ! Ce qui l’est moins c’est la haine que ma mère voue à sa soeur aînée.
- Vous m’intriguez.
« Mon grand-père était parti en Bolivie dans l’espoir d’y faire fortune. Il épousa une française et de ce mariage naquit ma tante Jeanne qui perdit sa mère alors qu’elle n’avait que deux ans. Mon grand-père se remaria avec une bolivienne et ils eurent une seconde fille, ma mère prénommée Dolorès. Il n’oublia jamais sa première femme, Agnès, qu’il adorait. Cet amour rendit ma grand-mère et ma mère si jalouses qu’elles se mirent à haïr la pauvre tante Jeanne.
« Mon grand-père revint en Corse avec ses deux filles, veuf à nouveau et malade. Dans ses bagages il ramenait suffisamment de pierres précieuses pour assurer un avenir confortable à la maisonnée. A sa mort, Dolorès s’accapara la petite fortune et ne laissa à tante Jeanne qu’une vieille maison, celle qui vient d’être détruite par le bombardement, et une vigne.
« Dolorès épousa le maire du village, mon père. Ce n’était pourtant pas elle qu’il aimait. Il adorait tante Jeanne, pas très jolie, avec une tendance à l’embonpoint mais avec un regard si tendre d’un noir profond et un sourire de miel qui la faisait paraître belle.
« Tante Jeanne avait deux prétendants, mon père et un dénommé Julien, homme peu scrupuleux, aimant la gaudriole et l’alcool. Un soir, à la demande de Dolorès, Julien se présente chez tante Jeanne ; tandis qu’elle fait passer mon père devant la vieille maison, juste au moment où le dénommé Julien en sort alors que la nuit tombe. Dépité mon père épouse ma mère, Dolorès. Il est mort sur les champs de bataille et je ne l’ai pas connu.
« Je ressemble beaucoup à tante Jeanne, ce qui m’a valu bien des paroles désobligeantes. Avec le temps, bien au contraire, le caractère de ma mère ne s’arrangea pas.
« Je suis tombée amoureuse d’un jeune homme appelé sous les drapeaux. Lorsque ma mère sut que j’étais enceinte elle me mit à la porte. C’est tante Jeanne qui m’a recueillie et aidé à élever ma fille. Je n’ai que très peu de nouvelles de mon fiancé qui est prisonnier. Laura, ma fille, ne le connaît pas.
« Voilà toute l’histoire, pas de quoi en faire un roman. »
- Vous avez raison, et je crains que vos soucis ne s’arrêtent là. Vous pourrez partir avec votre tante en fin de semaine, mais je ne pense pas qu’elle puisse résister encore longtemps. J’ai d’ailleurs l’impression qu’elle ne le souhaite pas. Elle Présente une infection généralisée. Nous manquons de pénicilline et le pire est à craindre. Il vous faudra être courageuse. Remarquez que l’on voit tous les jours des miracles et votre tante est robuste, elle pourrait bien guérir, à condition que le moral soit bon. Une femme de cette trempe...
Sans un mot, Claudia quitte le jeune médecin. Bouleversée par ce diagnostic, elle ne peut retourner immédiatement près de tante Jeanne.
« Il ne faut rien lui dire. Peut-être que le médecin se trompe. Tante Jeanne est, en effet, très résistante. Et puis le fait de retrouver son village, de rechercher une autre maison, le contact avec sa petite nièce. Peut-être ?... »
Lorsqu’elle retourne dans la chambre elle est étonnée de voir sa tante habillée, assise sur le lit, prête à partir.
- Tantine, tu es bien pressée de rentrer tout à coup. Je croyais que tu n’avais pas hâte de te retrouver chez ta soeur.
- Il y a des moments où il n’est plus utile de réfléchir. Cela te fera moins de frais si nous rentrons avant.
- Avant quoi ?
Mais la tante préfère se taire. Elle veut donner l’impression de ressentir un grand bonheur. Mais peut-être est-elle en effet heureuse d’être en vie et de rentrer.
Le retour est réellement gai pour Claudia. Remplie d’espoir, elle a hâte de revoir sa fille, de retrouver une maison, de reconstruire un nid douillet pour toutes les trois. Et puis, peut-être qu’il reviendra. La guerre est finie ; ce n’est plus qu’une question de semaines.
« Il faut qu’à son retour il nous trouve en parfaite santé dans une maison qui l’attend. Il le faut !... »
Sur le chemin du retour tante Jeanne résiste à la douleur, aux bourrasques du vent, aux cahots de la route qui la font glisser sur son côté douloureux. Claudia la tire pour atténuer les pertes d’équilibre sans se rendre compte qu’elle lui fait subir un véritable calvaire. Mais la tante ne dit rien. Elle retourne au village. Claudia lui a assuré que dès le lendemain elle trouverait un appartement. Et puis elle va revoir sa petite nièce.
Leur arrivée est triomphale. Au  village chacun veut voir la blessée, la saluer, l’embrasser. Aucune question sur les autres. Ils savent déjà. On offre du pain, de la charcuterie, des oeufs, de la farine de châtaigne, du brocciu (fromage corse). C’est la fête.
Si elle l’avait pu, Claudia aurait un peu limité les effusions. La voiture poursuit enfin son chemin et parvient devant la maison rose de la Grand-mère de Laura.
Tout est calme, trop calme. L’ambulancier heurte la porte. Un bruit dans l’escalier. Des pas lents, incroyablement lents. La porte s’ouvre, enfin !
- Vous êtes seule, demande-t-il ? Il va falloir la monter. Je vais chercher de l’aide. Je trouverai bien un homme valide et costaud.
Claudia n’ose poser la question qui la tenaille. Arrivée en haut de l’escalier elle demeure stupéfaite : Laura est là, assise dans le fauteuil réservé à sa grand-mère. Elle joue avec une magnifique poupée en porcelaine. La fillette et sa poupée portent la même robe, sont coiffées à l’identique : un ruban bleu ciel au-dessus d’anglaises fraîchement enroulées et brillantinées. Laura qui ne supporte pas les chaussures arbore une paire de mocassins noirs vernis dans lesquelles sont glissées des chaussettes blanches.
- Tu ne dis pas bonjour ?
- Si bien sûr, bonjour !
- Mais enfin Laura, tu ne viens pas embrasser maman et tante Jeanne ?
- Vous revenez de l’hôpital, mamie m’a dit de ne pas vous embrasser à cause des microbes.
En colère après sa mère, Claudia se jette sur l’enfant, lui arrache la poupée des bras, lui ôte sa nouvelle robe et son ruban.
- Vas mettre la robe que tu avais en arrivant.
- Je l’ai jetée, réplique la grand-mère. Quel exemple tu donnes à ta fille ! C’est comme ça que tu lui apprends la politesse et que tu lui témoignes ton amour ? Cela ne m’étonne pas. Là où vous viviez toutes les deux vous ne pouviez acquérir que des manières de paysannes. C’est bien ce que je pensais. Tu n’es pas capable de t’occuper de cette enfant, elle non plus dit-elle en se tournant vers sa soeur. Il va falloir y remédier.
Entre temps l’ambulancier est revenu avec un brancard de fortune, accompagné de deux hommes. Ils montent péniblement l’escalier très raide, installent tante Jeanne dans une chambre. Ils n’ont rien perdu de la dernière partie de la conversation.
Voilà, Madame la Mairesse. Votre soeur est installée, mais elle a besoin de beaucoup de repos. Vous ne devriez pas la contrarier ainsi.

vendredi 9 mai 2014

Un 8 Mai au vert - de la bure à la soie (4)

Un 8 Mai au vert

Une journée où le mot "bonheur" stoppe tout souci pour vous faire vivre en un instant la plénitude de l'éternité. Tout est vert, tout est calme, tout est ensoleillé. Nous sommes pourtant dans une propriété privée de laquelle on pourrait nous chasser d'un moment à l'autre. Mais, chose surprenante, nous y retournons pour la seconde fois et ce n'est qu'au bout de plusieurs heures qu'une angoisse nous impose le départ.
Sans aucun regret nous quittons ces lieux en songeant à la prochaine fois où, toujours sans remord, nous reviendrons nous installer sur cette prairie redevenue sauvage, où nos deux chiens se perdent sous les frondaisons, où nous avons installé nos deux chaises longues contre des figuiers sauvages. Ah ! si j'avais les moyens je me porterai acquéreur de cet éden. Mais qui peut être assez privilégié pour laisser cette terre à l'abandon ? Il faut que je cherche à savoir qui en est l'heureux propriétaire. En attendant, j'espère vous avoir envoyé beaucoup de soleil, de verdure, de silence et...de bonheur. Je vous livre une quatrième partie de mon roman : "De la Bure à la Soie". Masha Casanova Tél. 06 74 49 62 81. Laissez-moi un message et je vous rappellerai.

De la Bure à la soie (4)

- Elle n’a pas eu de chance, murmure Claudia. J’aurais tellement aimé la choyer comme elle l’a fait pour nous.
Le docteur sursaute au son de cette voix qui vient clore ses pensées.
- Qu’a-t-elle voulu dire par : « rentrer chez elle » ? De qui parlait-elle ?
- De ma mère, sa soeur.
- Venez boire ce qui ressemble à un café et racontez-moi.
- Oh c’est une histoire banale ! Ce qui l’est moins c’est la haine que ma mère voue à sa soeur aînée.
- Vous m’intriguez.
« Mon grand-père était parti en Bolivie dans l’espoir d’y faire fortune. Il épousa une française et de ce mariage naquit ma tante Jeanne qui perdit sa mère alors qu’elle n’avait que deux ans. Mon grand-père se remaria avec une bolivienne et ils eurent une seconde fille, ma mère prénommée Dolorès. Il n’oublia jamais sa première femme, Agnès, qu’il adorait. Cet amour rendit ma grand-mère et ma mère si jalouses qu’elles se mirent à haïr la pauvre tante Jeanne.
« Mon grand-père revint en Corse avec ses deux filles, veuf à nouveau et malade. Dans ses bagages il ramenait suffisamment de pierres précieuses pour assurer un avenir confortable à la maisonnée. A sa mort, Dolorès s’accapara la petite fortune et ne laissa à tante Jeanne qu’une vieille maison, celle qui vient d’être détruite par le bombardement, et une vigne.
« Dolorès épousa le maire du village, mon père. Ce n’était pourtant pas elle qu’il aimait. Il adorait tante Jeanne, pas très jolie, avec une tendance à l’embonpoint mais avec un regard si tendre d’un noir profond et un sourire de miel qui la faisait paraître belle.
« Tante Jeanne avait deux prétendants, mon père et un dénommé Julien, homme peu scrupuleux, aimant la gaudriole et l’alcool. Un soir, à la demande de Dolorès, Julien se présente chez tante Jeanne ; tandis qu’elle fait passer mon père devant la vieille maison, juste au moment où le dénommé Julien en sort alors que la nuit tombe. Dépité mon père épouse ma mère, Dolorès. Il est mort sur les champs de bataille et je ne l’ai pas connu.
« Je ressemble beaucoup à tante Jeanne, ce qui m’a valu bien des paroles désobligeantes. Avec le temps, bien au contraire, le caractère de ma mère ne s’arrangea pas.
« Je suis tombée amoureuse d’un jeune homme appelé sous les drapeaux. Lorsque ma mère sut que j’étais enceinte elle me mit à la porte. C’est tante Jeanne qui m’a recueillie et aidé à élever ma fille. Je n’ai que très peu de nouvelles de mon fiancé qui est prisonnier. Laura, ma fille, ne le connaît pas.
« Voilà toute l’histoire, pas de quoi en faire un roman. »
- Vous avez raison, et je crains que vos soucis ne s’arrêtent là. Vous pourrez partir avec votre tante en fin de semaine, mais je ne pense pas qu’elle puisse résister encore longtemps. J’ai d’ailleurs l’impression qu’elle ne le souhaite pas. Elle Présente une infection généralisée. Nous manquons de pénicilline et le pire est à craindre. Il vous faudra être courageuse. Remarquez que l’on voit tous les jours des miracles et votre tante est robuste, elle pourrait bien guérir, à condition que le moral soit bon. Une femme de cette trempe...
Sans un mot, Claudia quitte le jeune médecin. Bouleversée par ce diagnostic, elle ne peut retourner immédiatement près de tante Jeanne.
« Il ne faut rien lui dire. Peut-être que le médecin se trompe. Tante Jeanne est, en effet, très résistante. Et puis le fait de retrouver son village, de rechercher une autre maison, le contact avec sa petite nièce. Peut-être ?... »
Lorsqu’elle retourne dans la chambre elle est étonnée de voir sa tante habillée, assise sur le lit, prête à partir.
- Tantine, tu es bien pressée de rentrer tout à coup. Je croyais que tu n’avais pas hâte de te retrouver chez ta soeur.
- Il y a des moments où il n’est plus utile de réfléchir. Cela te fera moins de frais si nous rentrons avant.
- Avant quoi ?
Mais la tante préfère se taire. Elle veut donner l’impression de ressentir un grand bonheur. Mais peut-être est-elle en effet heureuse d’être en vie et de rentrer.
Le retour est réellement gai pour Claudia. Remplie d’espoir, elle a hâte de revoir sa fille, de retrouver une maison, de reconstruire un nid douillet pour toutes les trois. Et puis, peut-être qu’il reviendra. La guerre est finie ; ce n’est plus qu’une question de semaines.
« Il faut qu’à son retour il nous trouve en parfaite santé dans une maison qui l’attend. Il le faut !... »
Sur le chemin du retour tante Jeanne résiste à la douleur, aux bourrasques du vent, aux cahots de la route qui la font glisser sur son côté douloureux. Claudia la tire pour atténuer les pertes d’équilibre sans se rendre compte qu’elle lui fait subir un véritable calvaire. Mais la tante ne dit rien. Elle retourne au village. Claudia lui a assuré que dès le lendemain elle trouverait un appartement. Et puis elle va revoir sa petite nièce.
Leur arrivée est triomphale. Au  village chacun veut voir la blessée, la saluer, l’embrasser. Aucune question sur les autres. Ils savent déjà. On offre du pain, de la charcuterie, des oeufs, de la farine de châtaigne, du brocciu (fromage corse). C’est la fête.
Si elle l’avait pu, Claudia aurait un peu limité les effusions. La voiture poursuit enfin son chemin et parvient devant la maison rose de la Grand-mère de Laura.
Tout est calme, trop calme. L’ambulancier heurte la porte. Un bruit dans l’escalier. Des pas lents, incroyablement lents. La porte s’ouvre, enfin !
- Vous êtes seule, demande-t-il ? Il va falloir la monter. Je vais chercher de l’aide. Je trouverai bien un homme valide et costaud.
Claudia n’ose poser la question qui la tenaille. Arrivée en haut de l’escalier elle demeure stupéfaite : Laura est là, assise dans le fauteuil réservé à sa grand-mère. Elle joue avec une magnifique poupée en porcelaine. La fillette et sa poupée portent la même robe, sont coiffées à l’identique : un ruban bleu ciel au-dessus d’anglaises fraîchement enroulées et brillantinées. Laura qui ne supporte pas les chaussures arbore une paire de mocassins noirs vernis dans lesquelles sont glissées des chaussettes blanches.
- Tu ne dis pas bonjour ?
- Si bien sûr, bonjour !
- Mais enfin Laura, tu ne viens pas embrasser maman et tante Jeanne ?
- Vous revenez de l’hôpital, mamie m’a dit de ne pas vous embrasser à cause des microbes.
En colère après sa mère, Claudia se jette sur l’enfant, lui arrache la poupée des bras, lui ôte sa nouvelle robe et son ruban.
- Vas mettre la robe que tu avais en arrivant.
- Je l’ai jetée, réplique la grand-mère. Quel exemple tu donnes à ta fille ! C’est comme ça que tu lui apprends la politesse et que tu lui témoignes ton amour ? Cela ne m’étonne pas. Là où vous viviez toutes les deux vous ne pouviez acquérir que des manières de paysannes. C’est bien ce que je pensais. Tu n’es pas capable de t’occuper de cette enfant, elle non plus dit-elle en se tournant vers sa soeur. Il va falloir y remédier.
Entre temps l’ambulancier est revenu avec un brancard de fortune, accompagné de deux hommes. Ils montent péniblement l’escalier très raide, installent tante Jeanne dans une chambre. Ils n’ont rien perdu de la dernière partie de la conversation.
- Voilà, Madame la Mairesse. Votre soeur est installée, mais elle a besoin de beaucoup de repos. Vous ne devriez pas la contrarier ainsi.
- Mêlez-vous de ce qui vous regarde. En attendant, voilà le prix de la course et du dérangement. Quittez cette maison.
- Volontiers.
- Rhabille-toi Laura, dit la grand-mère, tu vas prendre froid. Cette nuit tu dormiras dans la chambre de mamie. Ta maman dormira avec sa tante.
Claudia est consternée. Elle sait sa mère capable de beaucoup de haine, mais de là à se servir d’une enfant !... Et Laura, pauvre innocente, qu’a-t-elle pu lui dire pour qu’elle en arrive à ne plus embrasser sa maman, elle si tendre, si cajoleuse. Le plus sage est d’attendre le lendemain. Elle doit reprendre sa fille et vite quitter cette maison qui la lui ravit.
« Peut-être a-t-elle raison, songe Claudia, alors qu’allongée près de sa tante, elle n’ose bouger, n’ose dormir. Si elle a raison, cela signifie que Laura sera mieux avec sa grand-mère. Comment m’a-t-elle élevée ? Bien, très bien même, mais sans amour, sans tendresse. C’est auprès de tante Jeanne que j’ai découvert ce qu’est l’amour maternel. Qu’est-ce qui est mieux pour ma fille : de belles robes ou la tendresse d’une mère ? Même si aujourd’hui Laura pense que sa grand-mère a raison, demain, plus tard elle comprendra. Et sur cette pensée, elle s’endort, enfin !

mardi 6 mai 2014

La cause de mon silence- bure et soie 3

La cause de mon silence : Bure et Soie3

Rien de tel qu'une région où le temps est le plus souvent clément pour être surprise par un orage dont l'intensité est catastrophique. C'est ce qui s'est produit la semaine passée où une averse de grêle accompagnée d'un violent orage s'est abattu sur notre village et ses environs immédiats. La foudre est tombée très près de chez nous et a endommagé les installations électrique et, pour la énième fois, les appareils téléphoniques. Ma box a été mise hors d'état de fonctionnement. Orange m'en a donné une de rechange, mais pour la réinitialiser, quelle galère !... Le technicien, soit dit en passant d'une patience d'ange, est resté en ligne pour tenter de remettre mon matériel en fonction. Après une bonne heure de manipulations diverses, nous sommes arrivés à être à nouveau connectés sur internet. Enfin me voilà. Je vous prie de m'excuser pour ce silence et vous donne quelques pages de mon roman : De la Bure à la Soie.


suite 3 roman "De la Bure à la Soie" de Casanova Marie-Jeanne.


Le lendemain,  lorsque Laura se réveille elle aperçoit sa maman qui dort paisiblement, tante Jeanne est déjà en train de préparer le petit déjeuner. Elle se souvient de la visite  de Monsieur le Loup mais, comme on le lui a si souvent répété, elle ne pause aucune question.
Ce n’est que vers midi que les cloches se mettent à sonner de façon désordonnée. Tous les villageois valides sortent sur le pas de leur porte, se demandant s’il y a un incendie.
Un corps calciné a été déposé sur le parvis de l’église. Tous se demandent de qui il peut s’agir. Seul Antoine le berger est absent. Chacun se signe puis retourne vers ses occupations. Et maintenant que va-t-il leur arriver, doivent-ils penser.

Claudia s’est vite remise de cet accident et n’en donne les détails à personne, pas même à sa tante. Elle a pu reprendre contact avec Jean qui lui donne rendez-vous pour le soir même. A l’heure prévue lorsqu’elle arrive, Jean est déjà là à l’attendre.
- Claudia, nous allons te relever de tes engagements. Quelqu’un a dénoncé les agissements suspects d’un homme. Heureusement aucun rapprochement n’est fait avec toi. L’île est pratiquement libérée ; nous allons la quitter cette nuit. Nous ferons route pour l’Algérie sur le sous-marin Casabianca. L’armée de l’air américaine est arrivée cette nuit et va poursuivre la libération de la Corse.
Au fait, ton fiancé n’est pas au courant de la naissance de votre enfant. Nous ne lui avons rien dit pour ne pas lui donner de souci supplémentaire. J’espère qu’il te reviendra bientôt. Merci pour ton aide, elle nous a été d’un grand secours. Rentre vite chez toi et peut-être qu’un jour nous nous reverrons.
Le lendemain, les gendarmes se présentent à nouveau chez tante Jeanne :
- Madame, dise-t-il à Claudia, il faut vous présenter à la gendarmerie vers 17H sans faute.
- Et pourquoi ?
- Ce n’est pas à nous de vous le dire, mais si j’étais à votre place je quitterais le village immédiatement.
- Et ma fille, et ma tante ?
- Elles ne risquent rien.
- ça c’est vous qui le dites !
Claudia est très inquiète. Heureusement tante Jeanne est allée étendre la lessive dans le jardin, accompagnée de Laura. Elle appelle sa fille. Sa décision est déjà prise, elle va la confier à sa marraine et tante Jeanne ira rejoindre sa soeur qui habite à l’autre bout du village. Quant à elle, elle partira se cacher chez des parents qui habitent à plusieurs kilomètres de là.
Alors que Claudia et Laura empruntent le chemin qui mène au nord du village où habite la marraine de l’enfant et que, pour ne pas inquiéter la fillette la maman a entonné la chanson : « Loup y es-tu ? » Un terrible vrombissement se fait entendre. D’abord lointain, il s’approche assourdissant et effrayant.
A l’horizon apparaît un avion. Il arrive vite, très vite, surplombe les châtaigniers, se penche vers le village et vide son ventre sur lui. Un véritable tremblement de terre suit sa trajectoire. Il revient, s’acharne sur les pauvres maisons puis repart, mission accomplie. Seul son grondement est encore présent.
   - Reste couchée, ne bouge pas, murmure la maman à la fillette qui, très excitée par cet événement veut voir.
Au bout d’un long moment elles peuvent se relever, l’avion semble définitivement parti.
- C’est quoi, maman ?
- C’est un bombardement.
- C’est quoi un bombardement ?
- C’est ça !
Le thym en botte reste au sol. On court. On appelle. Claudia et sa fille partent en courant vers le village. A l’endroit de la vieille maison de tante Jeanne il n’y a plus qu’un énorme trou. De la poussière de plâtre s’élève vers le ciel !
Laura regarde muette d’effroi. Sa maman pleure tout en cherchant sa tante.
- Venez m’aider, hurle-t-elle. Elle doit être sous les décombres. Il faut la sortir de là, crie-t-elle aux voisins.
Un groupe d’hommes vient à son aide. Ils déblaient avec les moyens du bord, aperçoivent un membre et tire dessus. Heureusement tante Jeanne a perdu connaissance. Laura plaquée contre un mur de la maison demeuré debout regarde le cheval du facteur, éventré, en travers de la route. Un homme, elle croit reconnaître le boucher du village, a été projeté, écartelé, contre le mur d’en face. Ses membres se décollent petit à petit et il glisse au sol, comme un pantin, pense l’enfant.
Une salle du café a été déménagée. A même le dallage on y installe côte à côte les blessés et les morts. Nul ne fait attention à la fillette qui enjambe tous ces corps à la recherche de sa grande tante.
« Elle est là. Maman est à ses côtés. »
Sans prononcer une parole, sans verser une larme, comme si cette situation était des plus naturelles, Laura s’agenouille et se met à prier, les mains jointes, les yeux fermés : « Petit Jésus, faites que... ».
Il n’y a ni médecin, ni infirmier. Un homme ayant quelques notions de secourisme fait des pansements. On déchire des draps, on verse de l’eau de vie sur les plaies, les blessés hurlent. La tante demeure évanouie. Claudia et sa fille sont toujours à genoux près d’elle. Enfin, tard dans la nuit, Claudia se décide. Elle aide Laura à se relever.
Dans l’obscurité, main dans la main, l’une entraînant l’autre, elles traversent le village ; elle vont là où l’avion n’est pas passé.
- Où allons-nous, maman ?
- Chez ta grand-mère.
- C’est comme dans le Petit Chaperon Rouge ?
- Pas tout à fait. Nous allons habiter chez elle, le temps que tante Jeanne guérisse.
A sa grande surprise, Laura découvre pour la première fois une superbe demeure, toute rose, entourée d’un petit parc qu’elle devine dans la nuit et qui surplombe la vallée. Au loin, la mer scintille sous le ciel étoilé.

samedi 19 avril 2014

Les Cloches de Pâques de mon enfance.



Les Cloches de Pâques de mon enfance.

Samedi Saint. Elevée dans un environnement très religieux, pour tout dire dans un orphelinat tenu par des religieuses, toute parole venant de nos éducatrices était parole d'Evangile.
Or, et je dois préciser que je n'exprimais jamais mes pensées ni mes doutes, j'étais, pour ma part, très surprise que le Christ expire sur la Croix le vendredi Saint à 15 H et ressuscite un jour après le Samedi saint, tandis que le dimanche de Pâques nous fêtions sa résurrection.
Mais mes doutes étaient vite relégués en arrière plan, tandis que la pensée des cloches qui allaient arriver de Rome le Samedi Saint à Midi nous mettait en transe. Le mot n'est pas trop fort.
Nous nous pointions dans la grande cour de récréation et demeurions les yeux levés au ciel dans l'attente des fameuses cloches. Je puis vous affirmer que les années passant, la déception de ne pas les avoir aperçu l'année précédente ne nous dissuadait pas de les attendre l'année suivante.
A midi frappant, un vacarme assourdissant montaient vers le ciel. Toutes les cloches des églises, chapelles, monastères, hôpitaux, et autres détenteurs de ces instruments sonores les secouaient pour se faire entendre de Rome où la cloche de la Chrétienté appelait ses enfants.
Et alors, notre attente de cloches en chocolat s'envolait également et notre désappointement se commuait en espoir. Espoir spirituel mais surtout espoir d'une vie meilleure dans un avenir prochain. Et plus près de nous, espoir de retrouver dans nos assiettes des oeufs en chocolat.
Je vous parlerai du chocolat dominical une autre fois.
Pour aujourd'hui, restons sur le chocolat pascal et régalons-nous.
Joyeuses Pâques

mercredi 16 avril 2014

de la bure à la soie (suite 2)




De la Bure à la soie (suite 2)
  Claudia rebrousse chemin et trouve le sentier barré par des ronces. Elle tourne à droite, à gauche, vers l’avant, l’arrière ; une barrière a été dressée, sans qu’elle s’en soit aperçue. Mais alors qu’elle se met courageusement à dégager un côté, elle entend un grésillement. Des flammes s’élèvent au-dessus de sa tête. La végétation de cette fin de septembre est très sèche ; elle s’embrase léchant déjà les vêtements de Claudia. Derrière le brasier elle aperçoit une ombre qui se démène pour tenter de l’aider.
La fumée envahit ses poumons. Elle va perdre connaissance, lorsque des bras, des jambes semblent exécuter la danse du feu. Claudia cesse de se débattre et se laisse aller ; la pensée de sa fille l’habite encore, mais l’impuissance dans laquelle elle se trouve lui ôte toute énergie, toute combativité.
                                                       ***
Dans le caveau funéraire, lieu des rendez-vous, les hommes de l’équipe Aurel commencent à s’inquiéter du retard de la jeune femme.
- Nous allons prendre le chemin qu’elle emprunte habituellement, dit Jean. Si nous ne la voyons pas, je me renseignerai. J’ai des amis dans ce village.
Quelques mètres seulement les séparent des lieux de l’incendie.  Ils ne trouvent personne mais constatent que les cendres sont encore chaudes.
Jean congédie les membres de son équipe en leur fixant un prochain rendez-vous. Puis il se dirige vers un ami qui depuis plusieurs mois participe avec eux aux efforts de résistance contre l’occupant italien. Il frappe à plusieurs reprises au point d’ébranler la pauvre porte de planches disjointes. En vain !
Il décide de se rendre au Bar du Centre où il espère avoir des renseignements sur cet incendie si rapidement maîtrisé. Quelques villageois terminent une partie de cartes.
- Tu te la joues en douce, oh Louis ! Tu crois que je n’ai pas vu ton manège avec les esbroufes de Paul ?
- Tu es un mauvais joueur. Tu refuses de perdre. Papadio !
- Allez une revanche !
- Je ferme, dit le patron en voyant entrer Jean. Tu veux un dernier verre l’ami ?
- Volontiers. Je voudrais également te parler. On peut aller dans un coin plus calme ?
- Ici nous sommes au calme car tous ces rigolos vont rentrer chez eux. Allez ! Ouste ! Vos femmes doivent s’impatienter.
Une fois les portes fermées, le patron du bar, Sébastianu, se rapproche de Jean en tenant de sa main droite une bouteille d’eau de vie et de l’autre deux petits verres à liqueur.
- Juste de quoi nous réchauffer, dit-il en s’installant face à Jean, baissant ses genoux trop volumineux pour les faire glisser sous la table. Tu veux quelque chose ?
- As-tu entendu parler de ce drôle d’incendie sur le chemin des Trois Chèvres ? Il a été allumé comme pour prendre une bête au piège. Nous sommes arrivés sitôt que nous avons vu les flammes et il était déjà éteint.
- Pôveru di noï. Le feu de la Saint-Michel.
- Qu’est-ce que tu racontes ?
- Tu ne connais pas la légende de la bataille de l’ange avec le démon ? On n’a jamais su lequel des deux a été brûlé. Ce qui est certain c’est que le lendemain on retrouve toujours le cadavre de celui qui a été la proie  des flammes. Reste ici, on ne sait jamais !
- Non, il faut que je parte. As-tu déjà été témoin de ce que tu avances ?
- Oui, et non seulement demain on trouvera un mort mais il faut nous attendre à une catastrophe. Monsieur le curé nous l’a prédit. Nous n’allons plus à l’église par peur de l’occupant. Or, tous les Corses savent qu’il n’y a pas plus superstitieux que l’Italien. Il n’oserait jamais s’attaquer à l’église. Pôveru di noï.
Jean avale son verre sans rien ajouter, salue son ami, remet sa casquette, resserre son écharpe autour de son cou trop maigre et repart dans la nuit. Une angoisse compresse sa poitrine. Ce ne sont pas les prédictions de Sebastianu qui lui font peur mais l’absence de Claudia. Comment pourrait-il faire pour se renseigner sans éveiller de soupçons.
                                                             ***
Voilà ce qui était arrivé :
Alors que Claudia se dirigeait vers le lieu de rendez-vous, Antoine avait mis son plan à exécution. Tout allait pour le mieux. Il allait allumer un feu pour prendre au piège la jeune femme et venir à son secours. Reconnaissante elle ne pourrait que lui accorder, sinon son amour, du moins sa main.
Ce qui lui arriva alors, il ne pourra jamais le raconter.
                                                            ***
Jean sait où Claudia habite et ses pas l’y emmènent, bien malgré lui. Après tout il peut bien demander son chemin ! Il frappe à la vieille porte de châtaignier, mais ses coups semblent trop doux, leur bruit demeure insignifiant. Il tente de frapper plus fort, toujours pas de réponse. Si Claudia était là elle entendrait, pense-t-il. Pourtant la porte s’ouvre tout doucement et Jean doit baisser la tête pour voir l’enfant.
- Tu es seule ?
- Non, je suis avec ma grand-tante.
- Et ta maman, elle n’est pas là ?     
- Non, je l’attends parce qu’elle n’a pas dit bonsoir.
- Bon, ne t’inquiète pas, elle ne va pas tarder. Tu me reconnais ?
- Oui, tu es Monsieur le Loup qui donne des pantalons pour les pauvres.
- Qu’est-ce que c’est ? Dit une voix venant de l’étage. Claudia, c’est toi ? Où est-ce que tu étais ?
- Ce n’est pas votre nièce, Madame. Je peux vous parler ?
- Entrez, j’arrive.
Jean n’ose s’asseoir en attendant tante Jeanne qui ne tarde pas à descendre, faisant craquer les marches de bois de son pas pesant. Elle a simplement jeté un châle sur ses épaules. Son chignon est défait et elle semble s’excuser en suivant le regard de l’homme.
- Je suis inquiète, dit-elle brutalement. Mais asseyez-vous. Qu’est-ce que vous lui voulez à ma nièce ?
- Ecoutez, Madame, je pense que votre nièce ne vous a rien révélé ; aussi je préfère demeurer discret. Elle devait m’apporter un papier que lui a remis un employé de la mairie et, comme c’est important pour moi, j’ai pensé qu’elle avait oublié de me le remettre. Je souhaitais le récupérer.
- Je ne suis effectivement au courant de rien. Mais voulez-vous boire quelque chose en l’attendant ?
- Oui, si vous aviez un peu de lait de chèvre j’en serais ravi car je n’ai rien mangé depuis hier.
Tante Jeanne lui propose une omelette que Jean refuse. Sitôt bu son lait brûlant, il s’en va, non sans avoir caressé les cheveux de Laura qui, assise sur une marche, n’a rien perdu de la conversation.
Jean fait le tour de la maison, descend jusqu’aux ruines du couvent, remonte continue de chercher, mais ne trouve nulle trace de Claudia. Lui vient à l’esprit qu’elle a peut-être été arrêtée par les Italiens qui détiennent les pouvoirs militaires, politiques et judiciaires de l’île. Depuis le temps qu’ils en rêvaient, la guerre leur en offre l’opportunité, avec la bénédiction de l’armée allemande et du Vatican.
En ce moment ce n’est pas la résistance qui occupe ses pensées, mais le sort de cette jeune maman qui lui avait fait confiance.
En passant près d’une grotte il entend une légère plainte. Il s’approche à tâtons, se glisse à l’intérieur et devine une silhouette allongée. A l’aide de la flamme de son briquet il reconnaît Claudia. Elle a le visage en sang, les cheveux à demi calcinés, les vêtements déchirés et brûlés. Elle est évanouie. Jean la soulève et l’emporte. Il voudrait la cacher mais songe qu’elle sera plus en sécurité chez sa tante.
La vieille femme ne fait aucun commentaire lorsque, pour la deuxième fois dans la soirée, il frappe à la porte. Elle débarrasse la table sur laquelle Jean dépose Claudia toujours inanimée. Elle lui fait avaler un peu d’eau de vie qui la rétablit aussitôt.
- Je ne veux rien savoir lui dit tante Jeanne ; à ton âge j’aurais agi comme toi.
Jean ne dit rien, reprend Claudia dans ses bras et la monte à l’étage, précédé par la tante qui le guide. Laura dort profondément.
- Je m’occupe d’elle, dit tante Jeanne. Ne repartez pas dans la nuit. Vous pouvez vous reposer sur mon lit, moi je n’ai plus sommeil.
Jean se jette tout habillé sur le lit et s’endort immédiatement.

mardi 15 avril 2014

De la Bure à la Soie




De la Bure à la Soie (1)



MANUSCRIT DE TOMMY

HISTOIRE DE LAURA

Mouvements lents, incessants, du berceau à bascule heurté contre le mur, encore et encore. Berceau qui emprisonne l’enfant, la protège et l’ennuie car il l’empêche de courir, de sauter, de bouger. Mouvements qu’accompagne la grande horloge. Rythmes accordés, temps mesuré qui s’écoule lentement. Ambiance chaude et parfumée, maison protectrice et douce. Seuls les coups du berceau contre le mur dérangent cette quiétude, cette tendresse qui suinte des murs, des fenêtres ouvertes sur la campagne, des meubles cirés, du carrelage de pierre frotté au savon de Marseille, du linge qui sèche au soleil, parfume l’air et les armoires.
Douce odeur, tendre chaleur que rien ne peut déranger. Trois femmes, trois générations s’abritent dans cette vieille maison, s’y lovent : La grande tante Jeanne, vieille fille qui se console en élevant sa nièce, puis la fille de cette dernière.
Le malheur s’est toujours arrêté à la porte de l’humble demeure ; l’amour qui sommeille dans le coeur de la vieille lui en interdit l’accès. Mais pourtant le bonheur semble, lui aussi, hésiter à en franchir le seuil. D’ailleurs il se manifesterait comment ? Sous les traits d’un homme ? Dès son entrée il serait pris dans ce poème, cette chaleur. Il serait le bienvenu. Mais malgré l’attente, il y a bien longtemps, trop longtemps !
- Dis tantine, pourquoi t’as pas de tonton ?
Question sans réponse. La fillette sait déjà qu’elle ne doit pas insister. Alors, que lui reste-t-il à faire ? Faire basculer son berceau, encore et toujours. La vieille regarde sa nièce, puis sa petite nièce. Ce sont les deux personnes qui lui sont les plus chères au monde. Elle est heureuse de pouvoir se rendre utile en les gardant près d’elle.
« Claudia a mauvaise mine, pense-t-elle. Elle se fait tellement de souci pour son fiancé dont elle n’a aucune nouvelle. Parti pour le front on ne sait ce qu’il est devenu. Le bruit court qu’il est prisonnier, mais les nouvelles nous parviennent avec plusieurs semaines de retard. Depuis quatre ans que cette guerre dure, il serait temps que cela se termine. »
Assise dans son vieux fauteuil coupé dans un bois de châtaignier, elle passe ses journées à repriser, coudre, tricoter. La petite Laura coûte très cher à élever ; elle grandit si vite.
- On n’a pas de nouvelles de cette terrible guerre. Ici rien ne nous parvient, murmure presque la vieille tante Jeanne.
- La semaine dernière il y a eu un bombardement sur la région de Bastia, lui répond Claudia. Ce soir il y a une réunion au café où tous les habitants sont conviés. Nous allons profiter de la relâche que semblent faire les troupes italiennes, à qui les ordres souvent contradictoires parviennent toujours avec  quelques jours de retard. Cela émousse leur esprit guerrier.
- Méfie-toi toujours de l’italien. Il agit là où est son intérêt et ses réactions peuvent être aussi brutales qu’elles semblaient aimables.
Claudia sait que sa tante a raison. Depuis que les Italiens occupent la Corse, et surtout leur village, ils agissent en occupants à la botte des Allemands. Elle a entendu dire qu’ils sont même pires car ils n’ont pas l’âme guerrière des Allemands. Ils agissent souvent de manière irrationnelle, sous l’effet d’un verre de trop, d’une impulsion ou d’une pulsion incontrôlée. Du moment que leurs actes demeurent impunis ils ne réfléchissent pas aux conséquences.
La semaine dernière ils ont attaqué le couvent des religieuses situé en contrebas du village, forçant les portes et les nones. Celles-ci se sont éparpillées dans la campagne et certains affirment qu’elles se sont défroquées pour passer inaperçues. Les assaillants n’ont laissé que des meubles calcinés.
Monsieur le curé a traité les soldats italiens d’assassins lors de la dernière messe (qui demeurera la dernière encore longtemps, les offices religieux étant désormais interdits). Il a refusé de quitter sa cure comme il en a reçu l’ordre. Sans tenir compte des risques qu’il court, il sonne les cloches à toute volée, le matin, à midi et le soir.
- En attendant, reprend tante Jeanne, il va falloir reboucher les trous que ta fille fait dans le plâtre avant qu’elle n’atteigne la pierre. Et cette poussière qu’elle fait tomber est une calamité.
- Je le ferai dès demain, répond Claudia. De toute manière elle est trop grande pour rester dans ce berceau comme dans un parc. Je vais l’inscrire à l’école dans une semaine. Ainsi elle pourra jouer avec les enfants de son âge.
Claudia reste un instant l’aiguille piquée dans la robe qu’elle est en train de rallonger pour Laura. Elle songe que sa tante a raison de veiller sur cette demeure. C’est grâce à elle et à sa chère tante qu’elle a eu une enfance heureuse, loin de sa mère qu’elle a su remplacer, toujours mine de rien, comme à son habitude.
La vieille maison ne comprend que trois pièces. Deux chambres et une pièce principale où trône une immense cheminée dans laquelle le feu reste allumé hiver comme été, car elle est le seul moyen de combustion pour la cuisson des aliments. Tante Jeanne a toujours refusé l’achat d’un fourneau, prétextant que cela ne servirait à rien puisqu’il chaufferait autant. Elle a fait creuser une sorte de four sous l’âtre, placé des briques en terre cuite qui cuisent les rôtis et les pâtisseries de  manière satisfaisante.
De ce fait, cette pièce conserve l’odeur du feu de bois, de la charcuterie fumée  pendue aux poutres du plafond et des herbes séchées accrochées aux murs.
Dès que l’on passe la porte de l’humble demeure une envie de nourriture vous prend à la gorge et tante Jeanne, le sachant bien, ne manque jamais d’offrir une eau de vie, du café, des fruits au sirop, accompagnés de ses fameux canistrelli, frappes ou beignets.
C’est dans cette pièce que le plus clair de leur temps s’écoule. Elle connaît tous les secrets de la famille ; entend tous les battements de coeurs ; ruisselle des pleurs versés depuis une bonne centaine d’années ; résonne des rires d’enfants et des cris d’adultes au verbe si haut que l’étranger pense souvent assister à une dispute. Les longues soirées d’hiver l’ont gardée éclairée par le feu de bois et les chandelles tirées de la graisse de porc. Les murs de cette pièce en ont entendu des commérages auxquels tante Jeanne n’accorde aucun crédit, et avant elle ses parents et ses grands-parents. Des sentences, des discussions et disputes politiques, des statistiques sur les prochaines élections, des palabres, de contes, des poèmes, des magnani (farces), chiami e rispondi (questions et réponses).
Claudia songe qu’en effet cette vielle maison les protège elle et sa fille et qu’elle le fera encore durant de très longues années.
Le son de la voix de sa tante la fait sursauter :
- En attendant, si tu allais promener la petite et profiter de cette sortie pour me rapporter du thym et du laurier. J’ai un lapin à préparer.
- Oui, oui, je vais aider maman et toi vas être contente tantine. Laura va te  ramasser plein, plein de belles fleurs. Je t’aime.
Septembre est tellement beau. Encore chaud, les feuilles fatiguées, desséchées par  le soleil, se penchent et aspirent à un repos bien mérité. Les oisillons font leurs véritables sorties et pépient comme des fous. La vigne sous les fenêtres les attire et les nourrit d’un raisin mordoré, gorgé de lumière et de chaleur. Elle aussi aspire à être taillée ; ses grains lourds commencent à tomber.
Tout est tranquille dans ce petit village de montagne. La vie s’y déroule sans heurt. Il fait bon y vivre et y mourir.
Chemin souvent parcouru, encore brûlé par un soleil couchant. Horizon oranger, montagnes bleutées. La terre regorge d’odeurs, de frôlements, de craquements.
- Chante : Loup y es-tu, demande Laura à sa mère.
Cette chanson fait toujours peur à la fillette mais elle adore ça. Elle n’a jamais rencontré de situation qui l’ait réellement angoissée et ce petit chatouillement que provoque la crainte du loup est agréable. Sa maman rit toujours.
- Loup y es-tu ?
- Je mets ma chemise !
Une voix grave répond :
- Bonjour, je ne suis pas le loup.
- Tu es qui ?
- Tais-toi Laura, tu es mal élevée, on interroge pas les gens.
- Ta maman a raison. Je me présente : Jean. Je vous ai vu plusieurs fois vous promener par ici. Je sais qui vous êtes et je sais également que votre fiancé a été fait prisonnier. Si vous le souhaitez je peux essayer d’avoir de ses nouvelles.
La façon presque brutale avec laquelle cet homme l’interpelle lui fait comprendre qu’il n’a pas le temps de faire des politesses. Elle réplique presque aussi brutalement :
- Vous feriez ça ? Mais pourquoi ?
- Parce que j’ai besoin de vous.
- Et que puis-je faire pour vous ?
- Je vous le ferai savoir le moment venu. Mais il ne faut en parler à personne, et surtout pas à votre fille qui est en train de cueillir du thym et des fleurs séchées, destinés à sa grande tante.
- Je vois qu’effectivement vous êtes au courant de tout.
- Retrouvez-moi à la nuit tombée.
- Mais si je me promène le soir, je vais me faire remarquer, vous connaissez les mentalités du village.
- Je sais, et c’est pour cela que j’ai prévu des vêtements d’homme que vous enfilerez. Vous viendrez au monument funéraire Casanova à la sortie du village.
- Je connais. Mais je me demande si je dois vous faire confiance.
- Claudia, vous permettez que je vous appelle ainsi, à l’heure actuelle nous n’avons pas le temps de trop réfléchir. Alors entendu, à ce soir vers 22 H, tout le monde chez vous dormira. Dites que vous avez rencontré un passant qui s’était égaré, car la petite risque de parler. Voici les vêtements, vous lui expliquerez que je les ai donnés pour les pauvres de la paroisse.
L’homme emprunte un sentier que dérobent les frondaisons d’automne.
- Laura, nous rentrons, tantine va s’inquiéter. Tu vois, ce monsieur qui s’en va c’est quelqu’un du village voisin. Il m’a donné des vêtements pour Monsieur le Curé, je les lui apporterai dès que j’aurai un moment.
A partir de ce jour, la vie de Claudia est bouleversée. Le soir de la première rencontre avec Jean, après que la tante Jeanne et sa fille se soient endormies, elle enfile les vêtements d’homme, un peu grands pour elle et se dirige vers le lieu du rendez-vous où elle découvre une activité qu’elle n’aurait même pas soupçonnée.
Cinq hommes, encore des enfants, la regardent avec retenue, comme s’ils voulaient s’effacer du tableau qu’ils composent : vêtus de vêtements sobres mais chauds, provenant certainement de l’armée, ils se tiennent serrés les uns contre les autres.
- Je te présente l’équipe Aurel. C’est du moins ce qu’il en reste. Les noms de ces personnes te seront inconnus, tu n’auras affaire qu’à moi. Si tu es d’accord, il faut que tu réceptionnes la marchandise qui va être parachutée dans le champ qui jouxte le  cimetière. Il faudra que tu surveilles le passage des avions. Chaque fois qu’il y en aura un qui fera un tour au-dessus du clocher, tu devras aller à l’aire de battage et cacher dans la chapelle mortuaire des Santelli les paquets parachutés. Vas la repérer dès demain. Ne te préoccupe pas du reste. Nous autres nous ne sommes pas là tous les jours et je n’ai trouvé personne au village capable de faire cette besogne. Méfie-toi de certaines âmes, entre autres de celles que tu verras roder par là. Ils ne peuvent être de notre groupe car nous ne nous déplaçons que la nuit. Avec ton âne qui va paître dans le champ d’à côté, tu n’attireras pas l’attention. Et maintenant, sans te commander, rentre vite. Je te suis à distance, on ne sait jamais.
Claudia se faufile discrètement dans les ruelles du village jusque chez elle où la tante et Laura dorment profondément.
Le lendemain, dès l’aube, deux gendarmes frappent à la porte de la vieille maison.
- Bonjour, on nous a signalé que cette nuit vous avez reçu un homme.
- Un homme ? Que Dieu vous entende, dit la tante.
- Madame, nous ne plaisantons pas. Quelqu’un a vu un suspect venant du tombeau Casanova entrer chez vous. Nous avons ordre d’arrêter toutes les personnes suspectées de collaborer avec les résistants.
- Mais vous n’êtes donc pas français comme nous ? Moi, Monsieur, je suis française ainsi que toutes les personnes de cette maison. Connaissez-vous le « Serment des Corses » ? Je l’ai appris par coeur :
« Face au monde, de toute notre âme, sur nos gloires, sur nos tombes, sur nos berceaux, nous jurons de vivre et de mourir français ! »
Vous devriez vous efforcer de le respecter.
- Madame, nous n’avons pas à discuter les ordres.
- Sortez de chez moi !
- Excusez-nous pour le dérangement, mais il vous faut comprendre que nous ne faisons que notre devoir.
- Regardez mieux où est votre devoir et ne remettez plus les pieds ici.
Claudia écoute de sa chambre sans broncher. Elle est agréablement surprise d’entendre sa tante se défendre ainsi. Elle a caché ses vêtements d’homme et après une toilette sommaire la rejoint.
- Tu dormais bien profondément ce matin, lui dit-elle. Tu n’as pas entendu que nous avons reçu de la visite.
- Je suis un peu fatiguée, j’ai mis longtemps pour m’endormir.
- Laura m’a dit qu’hier en vous promenant vous avez croisé quelqu’un.
- Oui, c’était un paysan du village voisin qui venait remettre de vieux vêtements pour les pauvres de la paroisse, puisque leur curé a été appelé sous les drapeaux.
La tante ne fait aucun commentaire et tout reprend son cours. A plusieurs reprises Claudia exécute les missions qui lui sont confiées. Elle est fière de participer à l’effort de résistance, cela la rapproche de son fiancé. Elle espère très fort recevoir de ses nouvelles par Jean.
Claudia a quelques difficultés à camoufler les colis qui sont parachutés. Par deux fois elle a pensé y renoncer ; les caisses, aux inscriptions anglaises, étaient trop lourdes. Elle a dû atteler à son âne à une sorte de chariot et à l’aide de ce dernier est arrivée, tant bien que mal, à les mettre à l’abri. Elle n’a jamais eu la curiosité de regarder ce qu’il y avait à l’intérieur, mais elle s’en doutait un peu.
Un jour, alors qu’elle ressort de la cachette, elle se trouve nez à nez avec Antoine, le berger des Léandri, qu’elle n’aime pas. Il lui a fait la cour à plusieurs reprises mais Claudia a toujours repoussé ses avances.
- Tiens, tu n’as pas le temps de venir au bal avec moi, mais tu l’as pour roder Dieu seul sait avec qui.
- Gros bêta ! Tu ne vois pas que je change l’âne d’enclos.
- Oui, on dit ça ! Cela fait deux fois que je te remarque par ici. Je ne sais si tu es au courant, mais les gendarmes sont à la recherche de certaines personnes. Tu pourrais y être mêlée.
- Et à ce moment là je saurai de qui cela pourrait venir.
- Ce que j’en dis c’est pour ton bien.
- Oh ! Je n’en doute pas. Allez, au revoir.
Inquiète, Claudia essaie d’entrer en communication avec Jean et, un peu plus tard dans la journée, elle laisse un message sur une des caisses.
Dépité, Antoine se dirige vers sa maisonnette, une vieille maison de village que lui a laissé son parrain. Il ne peut s’empêcher de penser à ce que serait sa vie si Claudia voulait bien la partager. Ce n’est pas qu’il l’aime, mais il connaît la femme saine, courageuse, sachant prendre les décisions importantes. Une femme comme elle, pense-t-il, ne peut que rendre un homme heureux. Il y a bien la petite Laura, mais il saura bien persuader sa mère de la mettre en pension chez les religieuses. Elle recevra une bonne éducation, mais surtout, lui, sera heureux de vivre avec Claudia, sans la partager.
Alors qu’il franchit le seuil de sa maison une idée lui vient à l’esprit. Après ça elle ne pourra plus rien lui refuser, pense-t-il.
Le lendemain, tard dans la nuit, lorsqu’un grondement se fait à nouveau entendre, Claudia a du mal à se retenir pour ne pas partir immédiatement. Elle attend les premières lueurs du jour pour se diriger, comme si de rien n’était, vers l’enclos.
Elle trouve une enveloppe au nom de Sophie, c’est le nom que lui a donné Jean. Une fois à l’abri dans son champ, camouflée par un olivier, elle déchire fébrilement l’enveloppe.
A l’intérieur il y a deux lettres. L’une vient de Jean qui lui dit de se méfier du berger des Léandri et  lui donne rendez-vous pour le soir, même heure, même endroit. L’autre vient de Jacques son fiancé. Comment ont-ils fait pour le contacter ?
« Ma douce, j’ai appris que tu es en relations avec notre ami. Je suis fier de toi. Ma lettre sera brève et je ne sais même pas si elle te parviendra et si d’autres ne la lirons pas. Je ne te donne aucune précision pour que l’on ne remonte pas jusqu’à toi. Je t’adresse ce poème et te demande de m’attendre. Je vais aussi bien que possible. Notre ami m’a fait parvenir un colis qui nous  a réjouis. Ne ris pas en lisant ces vers très maladroits :
«  Dans le froid et la faim, je pense à toi,
«  Dans la peur qui m’étreint, je pense à toi,
«  Sous les coups et la torture, je pense à toi,
«  Sous le fer et les injures, je pense à toi.
«  Si jamais ma pensée te quitte,
«  C’est qu’alors je serai près de toi,
«  A jamais. »
Claudia, émue, lit et relit cette lettre, puis se résigne à la déchirer.
Elle prend le chemin du retour sans encombre.  Le soir elle sort de chez elle et va vers le lieu de rendez-vous, toujours déguisée en homme. Elle serre les dents et les poings pour surmonter ses craintes. Elle a toujours eu peur dans le  noir. Les craquements, les frôlements, les feulements des chats sauvages la font sursauter. Elle resserre sa veste d’homme trop large pour se protéger du froid et se donner un semblant de sécurité.
Une branche qui craque lui donne les frissons. Elle s’arrête pour mieux écouter. Rien ! Certainement un animal. Mais presque aussitôt un autre craquement la cloue à nouveau sur place. Son pouls s’accélère, ses tempes battent si fort qu’une douleur aiguë lui barre le crâne. Elle rentre la tête dans ses épaules, l’entoure de son châle comme si le froid était responsable de cette névralgie.
« Il vaut mieux que je rentre. Je reviendrai demain. »
Texte tiré dulivre "De la Bure à la Soie de Masha Casanova
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