dimanche 18 mai 2014

Jour du Seigneur-Bure et Soie suite 5

Jour du Seigneur-Bure et Soie suite5



Il y a bien longtemps il m'était fait obligation d'assister à toutes les messes qui avaient lieu à 6H du matin les jours de semaine et à 6H, 10H, plus les vêpres à 16 H, le dimanche et les jours fériés. Mon éducation religieuse faisait partie de mon moi. Je croyais en Dieu  et je pratiquais sans même me poser de question.
Or, j'ai fais la connaissance d'un homme qui a été mon mari durant 42 ans. Mais voilà, il était divorcé et le nouveau concile était d'accord pour pardonner un meurtrier récidiviste mais pas un couple divorcé.
Et c'est ainsi que je me suis trouvée excommuniée. Depuis environ cinquante ans je n'ai plus pratiqué, plus communié. Je n'ai toujours pas la réponse à savoir auquel d'un divorcé ou d'un criminel le Seigneur pardonnerait.J'ai toujours beaucoup de mal à regarder les paroissiens aller communier sans aucune préparation et sans être à jeun.
J'ai connu Jean XXIII qui était venu en Corse couronner Notre Dame de La Vasina, je crois en 1953 et j'ai eu un culte particulier pour Jean-Paul II, jusqu'à ce que... Mais ça c'est une autre histoire.
En définitive, je suis trop droite et ne puis accepter tous les dogmes de l'Eglise Catholique.
J'ai fait baptiser mes trois enfants, leur ai fait faire leur communion et leur confirmation.
Si je vous parle de tout cela aujourd'hui, c'est que ce matin, et le jour de la canonisation des deux papes j'ai assisté à la messe devant le petit écran avec beaucoup de ferveur et d'émotion.
Masha le 18 mai 2014

De la Bure à la Soie - Suite n°(

« J’aime cette vieille qui me rappelle ma grand-mère, pense-t-il. Les mêmes traits durs et tendres à la fois. Cette peau mate. Ces grands yeux qui refusent de vieillir. Ce sourire à peine esquissé qui vient de l’intérieur. Ces cheveux tirés en chignon. Ce port altier. Cette façon de se vêtir, propre et pratique, au lavoir comme à l’église ; seuls changent le foulard noir noué sous le menton, le tablier que l’on quitte et les bottines réservées pour les grandes occasions, à la place des galoches aux semelles de bois clouté.
« Lorsqu’on la regarde on ne peut s’empêcher de songer aux soirées au coin du feu, aux histoires de loup-garou et de sorcière, aux gâteaux à la farine de châtaigne et aux noix, au miel du maquis, aux confitures de figues, aux soupes tellement épaisses que la louche tient debout dans la marmite. Et tout cela, accompagné de tendresse, d’amour, de patience. Cette façon de commander sans en avoir l’air. Cette volonté inflexible, cet orgueil à ne céder devant ni Dieu, ni diable.
« Et ces mains épaisses, carrées. Elles en ont battu du linge, pétri de la pâte, frotté, ciré, raccommodé. Faites pour les caresses, elles sont demeurées douces et fermes. On a envie de les embrasser, de les remercier d’avoir essuyé tant de larmes et soigné tant de bobos. Y a-t-il plus grande valeur sur cette terre, songe le jeune médecin en passant dans le couloir où filtrent des bruits venant des chambres, des pleurs, des plaintes. Pauvre femme. »
- Elle n’a pas eu de chance, murmure Claudia. J’aurais tellement aimé la choyer comme elle l’a fait pour nous.
Le docteur sursaute au son de cette voix qui vient clore ses pensées.
- Qu’a-t-elle voulu dire par : « rentrer chez elle » ? De qui parlait-elle ?
- De ma mère, sa soeur.
- Venez boire ce qui ressemble à un café et racontez-moi.
- Oh c’est une histoire banale ! Ce qui l’est moins c’est la haine que ma mère voue à sa soeur aînée.
- Vous m’intriguez.
« Mon grand-père était parti en Bolivie dans l’espoir d’y faire fortune. Il épousa une française et de ce mariage naquit ma tante Jeanne qui perdit sa mère alors qu’elle n’avait que deux ans. Mon grand-père se remaria avec une bolivienne et ils eurent une seconde fille, ma mère prénommée Dolorès. Il n’oublia jamais sa première femme, Agnès, qu’il adorait. Cet amour rendit ma grand-mère et ma mère si jalouses qu’elles se mirent à haïr la pauvre tante Jeanne.
« Mon grand-père revint en Corse avec ses deux filles, veuf à nouveau et malade. Dans ses bagages il ramenait suffisamment de pierres précieuses pour assurer un avenir confortable à la maisonnée. A sa mort, Dolorès s’accapara la petite fortune et ne laissa à tante Jeanne qu’une vieille maison, celle qui vient d’être détruite par le bombardement, et une vigne.
« Dolorès épousa le maire du village, mon père. Ce n’était pourtant pas elle qu’il aimait. Il adorait tante Jeanne, pas très jolie, avec une tendance à l’embonpoint mais avec un regard si tendre d’un noir profond et un sourire de miel qui la faisait paraître belle.
« Tante Jeanne avait deux prétendants, mon père et un dénommé Julien, homme peu scrupuleux, aimant la gaudriole et l’alcool. Un soir, à la demande de Dolorès, Julien se présente chez tante Jeanne ; tandis qu’elle fait passer mon père devant la vieille maison, juste au moment où le dénommé Julien en sort alors que la nuit tombe. Dépité mon père épouse ma mère, Dolorès. Il est mort sur les champs de bataille et je ne l’ai pas connu.
« Je ressemble beaucoup à tante Jeanne, ce qui m’a valu bien des paroles désobligeantes. Avec le temps, bien au contraire, le caractère de ma mère ne s’arrangea pas.
« Je suis tombée amoureuse d’un jeune homme appelé sous les drapeaux. Lorsque ma mère sut que j’étais enceinte elle me mit à la porte. C’est tante Jeanne qui m’a recueillie et aidé à élever ma fille. Je n’ai que très peu de nouvelles de mon fiancé qui est prisonnier. Laura, ma fille, ne le connaît pas.
« Voilà toute l’histoire, pas de quoi en faire un roman. »
- Vous avez raison, et je crains que vos soucis ne s’arrêtent là. Vous pourrez partir avec votre tante en fin de semaine, mais je ne pense pas qu’elle puisse résister encore longtemps. J’ai d’ailleurs l’impression qu’elle ne le souhaite pas. Elle Présente une infection généralisée. Nous manquons de pénicilline et le pire est à craindre. Il vous faudra être courageuse. Remarquez que l’on voit tous les jours des miracles et votre tante est robuste, elle pourrait bien guérir, à condition que le moral soit bon. Une femme de cette trempe...
Sans un mot, Claudia quitte le jeune médecin. Bouleversée par ce diagnostic, elle ne peut retourner immédiatement près de tante Jeanne.
« Il ne faut rien lui dire. Peut-être que le médecin se trompe. Tante Jeanne est, en effet, très résistante. Et puis le fait de retrouver son village, de rechercher une autre maison, le contact avec sa petite nièce. Peut-être ?... »
Lorsqu’elle retourne dans la chambre elle est étonnée de voir sa tante habillée, assise sur le lit, prête à partir.
- Tantine, tu es bien pressée de rentrer tout à coup. Je croyais que tu n’avais pas hâte de te retrouver chez ta soeur.
- Il y a des moments où il n’est plus utile de réfléchir. Cela te fera moins de frais si nous rentrons avant.
- Avant quoi ?
Mais la tante préfère se taire. Elle veut donner l’impression de ressentir un grand bonheur. Mais peut-être est-elle en effet heureuse d’être en vie et de rentrer.
Le retour est réellement gai pour Claudia. Remplie d’espoir, elle a hâte de revoir sa fille, de retrouver une maison, de reconstruire un nid douillet pour toutes les trois. Et puis, peut-être qu’il reviendra. La guerre est finie ; ce n’est plus qu’une question de semaines.
« Il faut qu’à son retour il nous trouve en parfaite santé dans une maison qui l’attend. Il le faut !... »
Sur le chemin du retour tante Jeanne résiste à la douleur, aux bourrasques du vent, aux cahots de la route qui la font glisser sur son côté douloureux. Claudia la tire pour atténuer les pertes d’équilibre sans se rendre compte qu’elle lui fait subir un véritable calvaire. Mais la tante ne dit rien. Elle retourne au village. Claudia lui a assuré que dès le lendemain elle trouverait un appartement. Et puis elle va revoir sa petite nièce.
Leur arrivée est triomphale. Au  village chacun veut voir la blessée, la saluer, l’embrasser. Aucune question sur les autres. Ils savent déjà. On offre du pain, de la charcuterie, des oeufs, de la farine de châtaigne, du brocciu (fromage corse). C’est la fête.
Si elle l’avait pu, Claudia aurait un peu limité les effusions. La voiture poursuit enfin son chemin et parvient devant la maison rose de la Grand-mère de Laura.
Tout est calme, trop calme. L’ambulancier heurte la porte. Un bruit dans l’escalier. Des pas lents, incroyablement lents. La porte s’ouvre, enfin !
- Vous êtes seule, demande-t-il ? Il va falloir la monter. Je vais chercher de l’aide. Je trouverai bien un homme valide et costaud.
Claudia n’ose poser la question qui la tenaille. Arrivée en haut de l’escalier elle demeure stupéfaite : Laura est là, assise dans le fauteuil réservé à sa grand-mère. Elle joue avec une magnifique poupée en porcelaine. La fillette et sa poupée portent la même robe, sont coiffées à l’identique : un ruban bleu ciel au-dessus d’anglaises fraîchement enroulées et brillantinées. Laura qui ne supporte pas les chaussures arbore une paire de mocassins noirs vernis dans lesquelles sont glissées des chaussettes blanches.
- Tu ne dis pas bonjour ?
- Si bien sûr, bonjour !
- Mais enfin Laura, tu ne viens pas embrasser maman et tante Jeanne ?
- Vous revenez de l’hôpital, mamie m’a dit de ne pas vous embrasser à cause des microbes.
En colère après sa mère, Claudia se jette sur l’enfant, lui arrache la poupée des bras, lui ôte sa nouvelle robe et son ruban.
- Vas mettre la robe que tu avais en arrivant.
- Je l’ai jetée, réplique la grand-mère. Quel exemple tu donnes à ta fille ! C’est comme ça que tu lui apprends la politesse et que tu lui témoignes ton amour ? Cela ne m’étonne pas. Là où vous viviez toutes les deux vous ne pouviez acquérir que des manières de paysannes. C’est bien ce que je pensais. Tu n’es pas capable de t’occuper de cette enfant, elle non plus dit-elle en se tournant vers sa soeur. Il va falloir y remédier.
Entre temps l’ambulancier est revenu avec un brancard de fortune, accompagné de deux hommes. Ils montent péniblement l’escalier très raide, installent tante Jeanne dans une chambre. Ils n’ont rien perdu de la dernière partie de la conversation.
Voilà, Madame la Mairesse. Votre soeur est installée, mais elle a besoin de beaucoup de repos. Vous ne devriez pas la contrarier ainsi.

vendredi 9 mai 2014

Un 8 Mai au vert - de la bure à la soie (4)

Un 8 Mai au vert

Une journée où le mot "bonheur" stoppe tout souci pour vous faire vivre en un instant la plénitude de l'éternité. Tout est vert, tout est calme, tout est ensoleillé. Nous sommes pourtant dans une propriété privée de laquelle on pourrait nous chasser d'un moment à l'autre. Mais, chose surprenante, nous y retournons pour la seconde fois et ce n'est qu'au bout de plusieurs heures qu'une angoisse nous impose le départ.
Sans aucun regret nous quittons ces lieux en songeant à la prochaine fois où, toujours sans remord, nous reviendrons nous installer sur cette prairie redevenue sauvage, où nos deux chiens se perdent sous les frondaisons, où nous avons installé nos deux chaises longues contre des figuiers sauvages. Ah ! si j'avais les moyens je me porterai acquéreur de cet éden. Mais qui peut être assez privilégié pour laisser cette terre à l'abandon ? Il faut que je cherche à savoir qui en est l'heureux propriétaire. En attendant, j'espère vous avoir envoyé beaucoup de soleil, de verdure, de silence et...de bonheur. Je vous livre une quatrième partie de mon roman : "De la Bure à la Soie". Masha Casanova Tél. 06 74 49 62 81. Laissez-moi un message et je vous rappellerai.

De la Bure à la soie (4)

- Elle n’a pas eu de chance, murmure Claudia. J’aurais tellement aimé la choyer comme elle l’a fait pour nous.
Le docteur sursaute au son de cette voix qui vient clore ses pensées.
- Qu’a-t-elle voulu dire par : « rentrer chez elle » ? De qui parlait-elle ?
- De ma mère, sa soeur.
- Venez boire ce qui ressemble à un café et racontez-moi.
- Oh c’est une histoire banale ! Ce qui l’est moins c’est la haine que ma mère voue à sa soeur aînée.
- Vous m’intriguez.
« Mon grand-père était parti en Bolivie dans l’espoir d’y faire fortune. Il épousa une française et de ce mariage naquit ma tante Jeanne qui perdit sa mère alors qu’elle n’avait que deux ans. Mon grand-père se remaria avec une bolivienne et ils eurent une seconde fille, ma mère prénommée Dolorès. Il n’oublia jamais sa première femme, Agnès, qu’il adorait. Cet amour rendit ma grand-mère et ma mère si jalouses qu’elles se mirent à haïr la pauvre tante Jeanne.
« Mon grand-père revint en Corse avec ses deux filles, veuf à nouveau et malade. Dans ses bagages il ramenait suffisamment de pierres précieuses pour assurer un avenir confortable à la maisonnée. A sa mort, Dolorès s’accapara la petite fortune et ne laissa à tante Jeanne qu’une vieille maison, celle qui vient d’être détruite par le bombardement, et une vigne.
« Dolorès épousa le maire du village, mon père. Ce n’était pourtant pas elle qu’il aimait. Il adorait tante Jeanne, pas très jolie, avec une tendance à l’embonpoint mais avec un regard si tendre d’un noir profond et un sourire de miel qui la faisait paraître belle.
« Tante Jeanne avait deux prétendants, mon père et un dénommé Julien, homme peu scrupuleux, aimant la gaudriole et l’alcool. Un soir, à la demande de Dolorès, Julien se présente chez tante Jeanne ; tandis qu’elle fait passer mon père devant la vieille maison, juste au moment où le dénommé Julien en sort alors que la nuit tombe. Dépité mon père épouse ma mère, Dolorès. Il est mort sur les champs de bataille et je ne l’ai pas connu.
« Je ressemble beaucoup à tante Jeanne, ce qui m’a valu bien des paroles désobligeantes. Avec le temps, bien au contraire, le caractère de ma mère ne s’arrangea pas.
« Je suis tombée amoureuse d’un jeune homme appelé sous les drapeaux. Lorsque ma mère sut que j’étais enceinte elle me mit à la porte. C’est tante Jeanne qui m’a recueillie et aidé à élever ma fille. Je n’ai que très peu de nouvelles de mon fiancé qui est prisonnier. Laura, ma fille, ne le connaît pas.
« Voilà toute l’histoire, pas de quoi en faire un roman. »
- Vous avez raison, et je crains que vos soucis ne s’arrêtent là. Vous pourrez partir avec votre tante en fin de semaine, mais je ne pense pas qu’elle puisse résister encore longtemps. J’ai d’ailleurs l’impression qu’elle ne le souhaite pas. Elle Présente une infection généralisée. Nous manquons de pénicilline et le pire est à craindre. Il vous faudra être courageuse. Remarquez que l’on voit tous les jours des miracles et votre tante est robuste, elle pourrait bien guérir, à condition que le moral soit bon. Une femme de cette trempe...
Sans un mot, Claudia quitte le jeune médecin. Bouleversée par ce diagnostic, elle ne peut retourner immédiatement près de tante Jeanne.
« Il ne faut rien lui dire. Peut-être que le médecin se trompe. Tante Jeanne est, en effet, très résistante. Et puis le fait de retrouver son village, de rechercher une autre maison, le contact avec sa petite nièce. Peut-être ?... »
Lorsqu’elle retourne dans la chambre elle est étonnée de voir sa tante habillée, assise sur le lit, prête à partir.
- Tantine, tu es bien pressée de rentrer tout à coup. Je croyais que tu n’avais pas hâte de te retrouver chez ta soeur.
- Il y a des moments où il n’est plus utile de réfléchir. Cela te fera moins de frais si nous rentrons avant.
- Avant quoi ?
Mais la tante préfère se taire. Elle veut donner l’impression de ressentir un grand bonheur. Mais peut-être est-elle en effet heureuse d’être en vie et de rentrer.
Le retour est réellement gai pour Claudia. Remplie d’espoir, elle a hâte de revoir sa fille, de retrouver une maison, de reconstruire un nid douillet pour toutes les trois. Et puis, peut-être qu’il reviendra. La guerre est finie ; ce n’est plus qu’une question de semaines.
« Il faut qu’à son retour il nous trouve en parfaite santé dans une maison qui l’attend. Il le faut !... »
Sur le chemin du retour tante Jeanne résiste à la douleur, aux bourrasques du vent, aux cahots de la route qui la font glisser sur son côté douloureux. Claudia la tire pour atténuer les pertes d’équilibre sans se rendre compte qu’elle lui fait subir un véritable calvaire. Mais la tante ne dit rien. Elle retourne au village. Claudia lui a assuré que dès le lendemain elle trouverait un appartement. Et puis elle va revoir sa petite nièce.
Leur arrivée est triomphale. Au  village chacun veut voir la blessée, la saluer, l’embrasser. Aucune question sur les autres. Ils savent déjà. On offre du pain, de la charcuterie, des oeufs, de la farine de châtaigne, du brocciu (fromage corse). C’est la fête.
Si elle l’avait pu, Claudia aurait un peu limité les effusions. La voiture poursuit enfin son chemin et parvient devant la maison rose de la Grand-mère de Laura.
Tout est calme, trop calme. L’ambulancier heurte la porte. Un bruit dans l’escalier. Des pas lents, incroyablement lents. La porte s’ouvre, enfin !
- Vous êtes seule, demande-t-il ? Il va falloir la monter. Je vais chercher de l’aide. Je trouverai bien un homme valide et costaud.
Claudia n’ose poser la question qui la tenaille. Arrivée en haut de l’escalier elle demeure stupéfaite : Laura est là, assise dans le fauteuil réservé à sa grand-mère. Elle joue avec une magnifique poupée en porcelaine. La fillette et sa poupée portent la même robe, sont coiffées à l’identique : un ruban bleu ciel au-dessus d’anglaises fraîchement enroulées et brillantinées. Laura qui ne supporte pas les chaussures arbore une paire de mocassins noirs vernis dans lesquelles sont glissées des chaussettes blanches.
- Tu ne dis pas bonjour ?
- Si bien sûr, bonjour !
- Mais enfin Laura, tu ne viens pas embrasser maman et tante Jeanne ?
- Vous revenez de l’hôpital, mamie m’a dit de ne pas vous embrasser à cause des microbes.
En colère après sa mère, Claudia se jette sur l’enfant, lui arrache la poupée des bras, lui ôte sa nouvelle robe et son ruban.
- Vas mettre la robe que tu avais en arrivant.
- Je l’ai jetée, réplique la grand-mère. Quel exemple tu donnes à ta fille ! C’est comme ça que tu lui apprends la politesse et que tu lui témoignes ton amour ? Cela ne m’étonne pas. Là où vous viviez toutes les deux vous ne pouviez acquérir que des manières de paysannes. C’est bien ce que je pensais. Tu n’es pas capable de t’occuper de cette enfant, elle non plus dit-elle en se tournant vers sa soeur. Il va falloir y remédier.
Entre temps l’ambulancier est revenu avec un brancard de fortune, accompagné de deux hommes. Ils montent péniblement l’escalier très raide, installent tante Jeanne dans une chambre. Ils n’ont rien perdu de la dernière partie de la conversation.
- Voilà, Madame la Mairesse. Votre soeur est installée, mais elle a besoin de beaucoup de repos. Vous ne devriez pas la contrarier ainsi.
- Mêlez-vous de ce qui vous regarde. En attendant, voilà le prix de la course et du dérangement. Quittez cette maison.
- Volontiers.
- Rhabille-toi Laura, dit la grand-mère, tu vas prendre froid. Cette nuit tu dormiras dans la chambre de mamie. Ta maman dormira avec sa tante.
Claudia est consternée. Elle sait sa mère capable de beaucoup de haine, mais de là à se servir d’une enfant !... Et Laura, pauvre innocente, qu’a-t-elle pu lui dire pour qu’elle en arrive à ne plus embrasser sa maman, elle si tendre, si cajoleuse. Le plus sage est d’attendre le lendemain. Elle doit reprendre sa fille et vite quitter cette maison qui la lui ravit.
« Peut-être a-t-elle raison, songe Claudia, alors qu’allongée près de sa tante, elle n’ose bouger, n’ose dormir. Si elle a raison, cela signifie que Laura sera mieux avec sa grand-mère. Comment m’a-t-elle élevée ? Bien, très bien même, mais sans amour, sans tendresse. C’est auprès de tante Jeanne que j’ai découvert ce qu’est l’amour maternel. Qu’est-ce qui est mieux pour ma fille : de belles robes ou la tendresse d’une mère ? Même si aujourd’hui Laura pense que sa grand-mère a raison, demain, plus tard elle comprendra. Et sur cette pensée, elle s’endort, enfin !

mardi 6 mai 2014

La cause de mon silence- bure et soie 3

La cause de mon silence : Bure et Soie3

Rien de tel qu'une région où le temps est le plus souvent clément pour être surprise par un orage dont l'intensité est catastrophique. C'est ce qui s'est produit la semaine passée où une averse de grêle accompagnée d'un violent orage s'est abattu sur notre village et ses environs immédiats. La foudre est tombée très près de chez nous et a endommagé les installations électrique et, pour la énième fois, les appareils téléphoniques. Ma box a été mise hors d'état de fonctionnement. Orange m'en a donné une de rechange, mais pour la réinitialiser, quelle galère !... Le technicien, soit dit en passant d'une patience d'ange, est resté en ligne pour tenter de remettre mon matériel en fonction. Après une bonne heure de manipulations diverses, nous sommes arrivés à être à nouveau connectés sur internet. Enfin me voilà. Je vous prie de m'excuser pour ce silence et vous donne quelques pages de mon roman : De la Bure à la Soie.


suite 3 roman "De la Bure à la Soie" de Casanova Marie-Jeanne.


Le lendemain,  lorsque Laura se réveille elle aperçoit sa maman qui dort paisiblement, tante Jeanne est déjà en train de préparer le petit déjeuner. Elle se souvient de la visite  de Monsieur le Loup mais, comme on le lui a si souvent répété, elle ne pause aucune question.
Ce n’est que vers midi que les cloches se mettent à sonner de façon désordonnée. Tous les villageois valides sortent sur le pas de leur porte, se demandant s’il y a un incendie.
Un corps calciné a été déposé sur le parvis de l’église. Tous se demandent de qui il peut s’agir. Seul Antoine le berger est absent. Chacun se signe puis retourne vers ses occupations. Et maintenant que va-t-il leur arriver, doivent-ils penser.

Claudia s’est vite remise de cet accident et n’en donne les détails à personne, pas même à sa tante. Elle a pu reprendre contact avec Jean qui lui donne rendez-vous pour le soir même. A l’heure prévue lorsqu’elle arrive, Jean est déjà là à l’attendre.
- Claudia, nous allons te relever de tes engagements. Quelqu’un a dénoncé les agissements suspects d’un homme. Heureusement aucun rapprochement n’est fait avec toi. L’île est pratiquement libérée ; nous allons la quitter cette nuit. Nous ferons route pour l’Algérie sur le sous-marin Casabianca. L’armée de l’air américaine est arrivée cette nuit et va poursuivre la libération de la Corse.
Au fait, ton fiancé n’est pas au courant de la naissance de votre enfant. Nous ne lui avons rien dit pour ne pas lui donner de souci supplémentaire. J’espère qu’il te reviendra bientôt. Merci pour ton aide, elle nous a été d’un grand secours. Rentre vite chez toi et peut-être qu’un jour nous nous reverrons.
Le lendemain, les gendarmes se présentent à nouveau chez tante Jeanne :
- Madame, dise-t-il à Claudia, il faut vous présenter à la gendarmerie vers 17H sans faute.
- Et pourquoi ?
- Ce n’est pas à nous de vous le dire, mais si j’étais à votre place je quitterais le village immédiatement.
- Et ma fille, et ma tante ?
- Elles ne risquent rien.
- ça c’est vous qui le dites !
Claudia est très inquiète. Heureusement tante Jeanne est allée étendre la lessive dans le jardin, accompagnée de Laura. Elle appelle sa fille. Sa décision est déjà prise, elle va la confier à sa marraine et tante Jeanne ira rejoindre sa soeur qui habite à l’autre bout du village. Quant à elle, elle partira se cacher chez des parents qui habitent à plusieurs kilomètres de là.
Alors que Claudia et Laura empruntent le chemin qui mène au nord du village où habite la marraine de l’enfant et que, pour ne pas inquiéter la fillette la maman a entonné la chanson : « Loup y es-tu ? » Un terrible vrombissement se fait entendre. D’abord lointain, il s’approche assourdissant et effrayant.
A l’horizon apparaît un avion. Il arrive vite, très vite, surplombe les châtaigniers, se penche vers le village et vide son ventre sur lui. Un véritable tremblement de terre suit sa trajectoire. Il revient, s’acharne sur les pauvres maisons puis repart, mission accomplie. Seul son grondement est encore présent.
   - Reste couchée, ne bouge pas, murmure la maman à la fillette qui, très excitée par cet événement veut voir.
Au bout d’un long moment elles peuvent se relever, l’avion semble définitivement parti.
- C’est quoi, maman ?
- C’est un bombardement.
- C’est quoi un bombardement ?
- C’est ça !
Le thym en botte reste au sol. On court. On appelle. Claudia et sa fille partent en courant vers le village. A l’endroit de la vieille maison de tante Jeanne il n’y a plus qu’un énorme trou. De la poussière de plâtre s’élève vers le ciel !
Laura regarde muette d’effroi. Sa maman pleure tout en cherchant sa tante.
- Venez m’aider, hurle-t-elle. Elle doit être sous les décombres. Il faut la sortir de là, crie-t-elle aux voisins.
Un groupe d’hommes vient à son aide. Ils déblaient avec les moyens du bord, aperçoivent un membre et tire dessus. Heureusement tante Jeanne a perdu connaissance. Laura plaquée contre un mur de la maison demeuré debout regarde le cheval du facteur, éventré, en travers de la route. Un homme, elle croit reconnaître le boucher du village, a été projeté, écartelé, contre le mur d’en face. Ses membres se décollent petit à petit et il glisse au sol, comme un pantin, pense l’enfant.
Une salle du café a été déménagée. A même le dallage on y installe côte à côte les blessés et les morts. Nul ne fait attention à la fillette qui enjambe tous ces corps à la recherche de sa grande tante.
« Elle est là. Maman est à ses côtés. »
Sans prononcer une parole, sans verser une larme, comme si cette situation était des plus naturelles, Laura s’agenouille et se met à prier, les mains jointes, les yeux fermés : « Petit Jésus, faites que... ».
Il n’y a ni médecin, ni infirmier. Un homme ayant quelques notions de secourisme fait des pansements. On déchire des draps, on verse de l’eau de vie sur les plaies, les blessés hurlent. La tante demeure évanouie. Claudia et sa fille sont toujours à genoux près d’elle. Enfin, tard dans la nuit, Claudia se décide. Elle aide Laura à se relever.
Dans l’obscurité, main dans la main, l’une entraînant l’autre, elles traversent le village ; elle vont là où l’avion n’est pas passé.
- Où allons-nous, maman ?
- Chez ta grand-mère.
- C’est comme dans le Petit Chaperon Rouge ?
- Pas tout à fait. Nous allons habiter chez elle, le temps que tante Jeanne guérisse.
A sa grande surprise, Laura découvre pour la première fois une superbe demeure, toute rose, entourée d’un petit parc qu’elle devine dans la nuit et qui surplombe la vallée. Au loin, la mer scintille sous le ciel étoilé.